Salon du livre libertaire de Cluny (15-16 octobre 2022)


Comme chaque année, Libertaire 71 et la Confédération Nationale du Travail 71-58 organisaient le festival du livre libertaire de Cluny. Le contrôle social était cette année au centre des débats. On le retrouve décliné dans le programme des conférences, sur les murs, et dans la vaste littérature anarchiste et libertaire exposée.

Il est impossible de restituer tout ce que nous avons vu et entendu lors de ces journées, mais voici de quoi s'en faire une idée. Faites-nous part de votre expérience, de vos trouvailles, de vos suggestions et de vos photos !

Baptiste Rappin n'ayant pu se déplacer pour sa conférence, il a été remplacé par Thierry Ribault, venu parler de son livre Contre la résilience.



   De nombreux collectifs présents. Outre Libertaire 71 et la CNT, l'Observatoire des Armements, Écran Total, Action Antifasciste, ou encore l'Union des Travailleuses et Travailleurs Anti-autoritaires (leur publication La/Le Pirate, et leurs livres double-face...).
   Dis-moi ce que tu fais lire, je te dirai qui tu es

   Conférence d'ouverture - 15 octobre, 18h
L'observatoire des Armements

La conférence d'ouverture était assurée par Tony et Sayat, venus présenter le travail de l'Oberservatoire. Comme son site l'indique, cette association, créée en 1984 à Lyon, sous le nom de Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits (CDRPC), vise à documenter les travaux de la société civile sur les questions de défense et de sécurité "et ce, dans la perspective d’une démilitarisation progressive".


L'Observatoire se donne deux tâches. D'une part, réunir un maximum d'information sur la production et le commerce des armes en France, pour en informer le public, via son site, des conférences, des expositions, et sa publication périodique, la Lettre de Damoclès. L'association possède également différentes antennes dans le pays, et une personne du public a pu nous faire part de l'avancement de la création d'un groupe antimilitariste à Grenoble.
D'autre part, cette association propose sa médiation et son aide dans la mobilisation de l'opinion et les relations avec les autorités.
L'idée est ainsi de favoriser la plus grande transparence possible et un véritable contrôle démocratique en la matière. Tony et Sayat ont ainsi largement pu revenir sur l'ensemble des facteurs qui favorisent, au contraire, l'immense opacité qui entoure une industrie qui place la France au 3e rang mondial des marchand d'armes (derrière les USA et la Russie), passant de 6 à 15 milliards d'euros depuis Hollande (22 milliards prévus l'an prochain).
Ils ont également insisté sur le fait que le même flou, sinon davantage, entoure le commerce de matériel de gestion des foules et de maintien de l'ordre, domaine dans lequel la France vend quasiment à nombre de dictatures.

6000 ouvrages, une centaine d'abonnements à des revues, et quantité d'informations collectées, le centre de Lyon constitue aussi un véritable centre de documentation.

Tony et Sayat nous ont également présenté les Notes de l'Observatoire, qu'il publie régulièrement, et met à disposition sur son site. Le dernier (mai 2022), "La guerre se fabrique près de chez vous", propose une information précieuse sur les différents lieux de production d'armes en Auvergne-Rhônes-Alpes. Une sorte de cartographie, comme il en existe pour les groupes fascistes.
L'autre rapport illustré a fait suite aux remus provoqués au Parlement, en 2019, sur les ventes d'armes au Yémen. Il compare les différents systèmes de contrôle parlementaire dans d'autres pays (notamment l'Allemange et le Royaume-Uni), pour souligner les carences françaises en la matière.

Enfin, Tony et Sayat ont rappelé combien les armées, aujourd'hui, étaient engagées dans le soft power, pour soigner leur image et préparer l'opinion à des montée en puissance des budgets militaires. Cela commence par la banalisation de la guerre (à notre avis, depuis la première guerre en Irak). Mais cela passe aussi bien par son esthétisation, via la fiction (l'armée française a monté la Red Team, qui regroupe des auteurs de fiction visant à promouvoir l'armée), le cinéma (l'armée américaine a un centre d'aide à la réalisation implanté à Hollywood), et les séries (l'armée française a cofinancé la série Le Bureau des Légendes). Tony et Sayat nous ont rappelé l'existence d'un article de Mediapart sur la question (j'ai retrouvé le lien: article de David Servenay, "L'armée française à l'assaut de nos imaginaires", 31 août 2020).

La lutte en la matière est d'autant plus difficile que, souvent, les conditions de travail pour les ouvriers sont plus favorables dans ce type d'industrie que dans les autres, a rappelé un membre du public, qui semblait en savoir long sur la question...

Les discussions qui s'en sont suivies étaient nourries et intéressantes, notamment autour de l'attitude à adopter à l'égard de la guerre en Ukraine (la question de l'aide militaire aux peuples agressés, une question aussi vieille que Kropotkine, a rappelé un membre de l'assistance), de la distinction entre guérilla citoyenne et guerre, ou de l'impact de la fin du service militaire sur la présence de l'antimilitarisme dans les mouvements militants.

    Documentaire - 16 octobre, 10h - Arnaud Milanese
 
"Les Gilets Jaunes par Nous"
Le documentaire qui nous a été projeté en était à sa 6e version déjà. Pourquoi tant ? Et qui est ce "nous" ?

Derrière ce documentaire, on trouve un collectif de Gilets Jaunes d'Occitanie. Mais ce n'est pas eux ce nous. Il est entièrement fait d'archives prises en situation par ceux qui ont participé et participent toujours au mouvement. Une partie a été collectée via le (no)blog dont nous donnons le lien au-dessus, et où l'on trouve quantité d'archives (le site précise que le documentaire était présent sur Facebook jusqu'à peu - Facebook l'a enlevé d'autorité). C'est donc un "nous" qui renvoient aux gilets jaunes, ou plutôt à des gilets jaunes, qui se réapproprient leur histoire, à mesure qu'ils rassemblent des documents et poursuivent, d'une façon ou d'une autre, le mouvement - entre autres choses par ce documentaire. Ou encore en appelant symboliquement à la grêve générale le 17 novembre prochain, jour anniversaire du début du mouvement (voir l'affichette).
L'ordre en est simplement chronologique, les effets de montage sont peu nombreux, même s'ils ajoutent à l'humour fréquent de certaines scénettes - pour ceux qui auraient oublié que c'est un mouvement créatif et souvent drôle !
De nombreuses références, plus ou moins détournés, au cinéma commercial en sont les effets les plus fréquents. Le documentaire s'ouvre et se ferme ainsi sur Matrix, et Rage Against The Machine, of course !!! Précisément parce qu'il s'agit non de dire comment cela va finir, mais "comment cela va commencer" (fin du 1e volet, pour ceux qui l'auraient oublié). Si de nombreux actes se sont appelés "acte ultime", "ultimatum", "acte final 1, 2, 3, etc.", leur multiplication signifie justement que tout ne fait que (re)commencer - si on le veut. Ou encore parce qu'il s'agit de montrer un "monde sans vous" (Matrix toujours): et ce n'est pas un monde de violence - la violence y a été défensive - mais d'auto-organisations, de fêtes et de réappropriations (on se souvient de ce que signifiait le prélèvement de l'ISF à la source sur les Champs Élysée...). Je ne connaissais pas ces images de bonnes soeurs dansant dans la rue avec des gilets jaunes, par exemple, et je ne suis pas prêt de les oublier !
Incontournable donc, Trinity en gilet jaune (voir l'affichette), William Wallace, dans Brave Heart, en gilet jaune, et cela répond parfaitement au type d'esthétisation développée pendant le mouvement. Qu'il s'agisse du "Force et honneur" du boxeur Christophe Dettinger, tiré de Gladiator, ou de l'énorme "Raouw" répondu à la question "Quel est votre métier ?", et tirées, la réponse comme la question, de l'affreux 300.
De belles analyses, aussi, passées comme de rien, et si justes ! Comme le moment où est évoqué le fait que les techniques de maintien de l'ordre actuellement en vigueur en France, ont été testé dans la répression des émeutes en banlieue (d'où le rôle désormais de la BAC et la politique de l'interpellation systématique - voir l'excellent livre Politique du désordre, de Jobart et Filieule, pour qui veut en savoir plus). Ou encore la tension incessante, pendant le mouvement, entre les conditions difficiles des plus précaires qui vivent de leur travail, et les exigences du mouvement (expliquant en partie les difficiles relations avec les syndicats - gilets jaunes/gilets rouges, on s'en souvient - notamment au moment de bloquer les raffineries). C'est, dit la voix off, que le difficile est de porter la critique et la lutte sur ses propres conditions d'existence sans perdre la dimension nécessairement sociale du mouvement. Tout un programme, ou plutôt tout un problème, qui est le problème central du militantisme. Lorsqu'il se veut vraiment pragmatique - concilier vie, convictions et engagement efficace.
Beaucoup de choses aussi sur la grande créativité et la grande réactivité de ce mouvement. L'efficacité du message de non-dissociation, lorsque le pouvoir et les médias ont cherché à opposer les calmes et les violents. Un véritable sens de la formule, aussi: assemblée désassemblée, convivialité en gilet. Une longueur d'avance face aux stratégies de répression: on ne peut plus se pérenniser sur les ronds points - qu'importe, nous avons monté des maisons du peuple (plus ou moins réquisitionnés parfois). Organiser un cortège de Carnaval, lorsque les masques ont été interdits: ce n'est pas un masque, c'est un déguisement ! Et enfin (mais il y en aurait bien d'autres), l'inénarrable cacatov: ces cocktails molotov à base d'excréments - d'abord humains (une pierre deux coups), puis (attention ADN !) à base d'excréments et d'urine de chat, et de tout ce qui pouvait sentir fort et longtemps sur les uniformes !
J'insiste sur ces points non pour passer sous silence les moments dramatiques, durs, inquiétants dans les confrontations qui ont jalonné le mouvement, et que le documentaire ne nous épargne pas. Parce qu'on les connaît hélas mieux. Même si on n'en souligne pas toujours assez la dimension épique - le choix de certaines musiques de film (Gladiator encore) était parfait pour le souligner. Et ce documentaire lui-même n'hésite pas à traiter ces moments les plus durs avec humour: les 700 lycéens agenouillés pendant deux heures par la police casquée... sur la musique de Dark Vador, c'est irrésistible. Même si au fond c'était à pleurer.

Joyeux, épique, inquiétant, dur, plein d'espoir et d'appels justes à poursuivre la lutte. Bref, émouvant.

    Exposition Action Antifasciste

En attendant des compléments de la part des exposants...

    Vus sur les murs (1)

Illustrations de l'artiste Marie-Claire Cordat, pour le livre autobiographique de Jean-Marc Rouillan. Militant d'Action Directe, il sort en mai 2011 de vingt-cinq ans de prison. Ce livre, paru en 2012, est le récit de ses premiers mois de liberté.

"L'artiste pendu"

"Évasion définitive de Charlie Bauer"

"Petra Schlem assassinée"

"Portrait des quatre"
Je me suis amusé à rechercher les photos qui ont pu inspirer Marie-Claire Cordat, pour le "Portrait des quatre".
Jann-Marc Rouillan // Nathalie Ménigon




Joëlle Aubron // Georges Cipriani


    Vus sur les murs (2)

On a pu voir aussi quelques exemplaires des excellentes affiches de la campagne du "Grand Soulagement", apparue sur les murs en avril 2021.
"Le grand soulagement est un programme de relaxation politique à objectif tendrement insurrectionnel."


Autant je vois bien le sens qu'aurait le remplacement des caméras de surveillance par des maisons d'oiseaux, autant Bolloré et l'appareil à raclette, je cale un peu. Parce que c'est un repas convivial et collectif ? Deux qualités qui ne semblent pas caractériser Bolloré... Si vous avez mieux, je suis preneur.


 

Johanne Rod
Ambre Boinquet
Arnaud Milanese
Éléna Berruet
Richard Béninger
Mâcon Cluny en lutte