Rencontres de l'"Instant d'Après"

Autour des nouvelles pensées de l'écologie

Cette page est susceptible d'évoluer, à mesure des retours que nous recevrons sur ces journées et ce qui s'y est dit

Rencontres de l'"Instant d'Après"

Autour des nouvelles pensées de l'écologie

Cette page est susceptible d'évoluer, à mesure des retours que nous recevrons sur ces journées et ce qui s'y est dit


Pour la première fois, les associations L'Instant d'Après et La Fabrique Écologique présentaient "Rencontre des nouvelles pensées de l'écologie".

Près de 400 personnes, venues de toute la France, ont pu assister et participer à 2 tables rondes, 2 rencontres et pas moins de 15 ateliers thématiques, répartis sur deux jours. Ces événements réunissaient pas loin de 70 intervenants, venus majoritairement du monde de la recherche académique, mais aussi du journalisme, du militantisme ou du monde associatif - ces différents statuts se recoupaient souvent.

En attendant les prochaines rencontres, nous revenons sur cette première, accueillie à l'Abbaye de Cluny, la plus petite ville universitaire de France. Comme d'habitude, ce reportage ne pourra parler de tout: parce qu'on ne peut être partout, que plusieurs ateliers avaient lieu en parallèle, et que, comme tout le monde, notre intérêt était sélectif.

Enfin, tout complément à ce que nous proposons, de la part de personnes ayant assisté aux journées, ou d'intervenants, est le bienvenu (nous écrire par le formulaire de contact)



Pour la première fois, les associations L'Instant d'Après et La Fabrique Écologique présentaient "Rencontre des nouvelles pensées de l'écologie".

Près de 400 personnes, venues de toute la France, ont pu assister et participer à 2 tables rondes, 2 rencontres et pas moins de 15 ateliers thématiques, répartis sur deux jours. Ces événements réunissaient pas loin de 70 intervenants, venus majoritairement du monde de la recherche académique, mais aussi du journalisme, du militantisme ou du monde associatif - ces différents statuts se recoupaient souvent.

En attendant les prochaines rencontres, nous revenons sur cette première, accueillie à l'Abbaye de Cluny, la plus petite ville universitaire de France. Comme d'habitude, ce reportage ne pourra parler de tout: parce qu'on ne peut être partout, que plusieurs ateliers avaient lieu en parallèle, et que, comme tout le monde, notre intérêt était sélectif.

Enfin, tout complément à ce que nous proposons, de la part de personnes ayant assisté aux journées, ou d'intervenants, est le bienvenu (nous écrire par le formulaire de contact)



Collectifs associés à ces Rencontres: Reporterre, La Fabrique Écologique, Le Lierre, Fondation de l'Écologie Politique, Agir pour l'Environnement, Multitudes, Les Verts au Parlement, Club de l'Olivier, Écologie et Politique, Groupe Écologiste du Sénat.

   Discours d'introduction de Claire Mallard
Mesdames messieurs, cher e s ami e s,
La fréquentation de ces rencontres dépasse nettement nos attentes, probablement près de 400 participant.e.s et nous vous prions vraiment de faire preuve d'indulgence pour les problèmes d'organisation, en particulier l'accès à certains ateliers qui risque d'être parfois compliqué.
Au nom du collectif l’instant d’après, collectif d’activistes, d’élus et d’habitants du Mâconnais Clunisois, j'ouvre avec grand plaisir ces rencontres que nous préparons depuis plusieurs mois ici. Plaisir terni par le décès de Bruno Latour, le plus bourguignon des penseurs de l’écologie, à qui nous rendrons hommage tout le long de ces deux jours.
Nos rencontres se tiennent dans un contexte particulièrement tendu et anxiogène à l’échelle nationale comme à l’échelle internationale .
Tout ce qui semblait établi et solide paraît ébranlé, des habitudes de vie apparemment immuables sont chamboulées, la pénurie devient possible dans des domaines, pour des produits ou des services qui parvenaient à nous presque automatiquement, comme hors sol, tellement nous en interrogeons peu la provenance ou les conditions de production. Le pétrole, l’électricité, l’eau. Des produits alimentaires venus de loin ou de près, dont les prix flambent parce que tout simplement leur production devient aléatoire. L’idée que tout puisse s’arrêter en raison d’une pandémie liée aux dérèglements du vivant ne relève plus de la science-fiction. Sans compter les situations de catastrophes climatiques qui présentent des factures astronomiques aux particuliers comme aux États, surtout aux populations les plus pauvres du monde entier, ce qui constitue autant de facteurs à venir pour de nouveaux désordres.
Nous pourrions nous féliciter d’avoir été les premiers à lancer les alertes mais l’accélération des crises écologiques, si elle peut causer de la sidération ou de l’anxiété, ne produit spontanément aucun effet automatique de réajustement.
Nous savons nous, que ces crises, qui se cumulent et se combinent, impliquent (et rapidement) des ruptures fondamentales avec la façon dont nos sociétés fonctionnent depuis des dizaines d’années. Retrouver le lien avec la terre et le vivant, habiter, travailler et consommer autrement, interroger vraiment ce qui est indispensable et ce qui l’est moins, c'est d'une immense métamorphose de civilisation dont il est question.
Ces ruptures touchent aux formes de pouvoirs, de coopération et de domination, à l'intrication des relations entre les personnes, parfois à l'image que nous avons de notre place dans la société. Nous devons nommer, désigner nos adversaires et les obstacles, en appeler contre eux aux soulèvements de la terre, sans pourtant appeler à la guerre de chacun contre tous bien au contraire évidemment.
Nous devons montrer comment l’avènement d’une société écologique, c’est à dire qui ramène l’économie au-dessous de ce que peut supporter la Planète, peut nous faire vivre mieux, mais nous avons mis tellement de retard à décrire cette société écologique.
Nous devons agir ici, mais pas plus qu’il n’y avait de socialisme dans un seul pays, il n’y a de vraies frontières entre les écosystèmes.
Nous sommes des amis de la science et de la technique mais nous n’aimons pas la façon dont elles sont embarquées par l’extractivisme, l’économie coloniale de plantation et pour tout dire par le capitalisme.
Et nous n’avons peur de rien : ni de parler de sobriété dans une région viticole, ni d’en appeler à la baisse de la consommation carnée en plein charolais, ni de vouloir sortir du nucléaire à 50 kilomètres de là où l'on fabrique les cuves d’EPR. De lenteur quand les gens ne s’arrêtent pas, de droit à la paresse alors que certains ploient sous le surtravail .
Car mème les mots peuvent nous jouer des tours.
Dans une situation inédite, nous ne pourrons pas dire les transformations de l'avenir avec les mots et les seuls imaginaires du passé. Mais nous savons aussi que les gens raisonnent avec les mots qui leur sont familiers, ceux de république, ceux de progrès, de travail voire de croissance, ceux de nature ou d’environnement, qui appartiennent tous aux vocabulaires des batailles antérieures.
C’est pour faire le point sur tous ces paradoxes que nous avons souhaité ces rencontres.
Nous avons progressé et nos sociétés ont avancé également depuis les débuts du mouvement écologiste.
Nous sommes cependant, comme elle, l’objet d'un pilonnage intense des tenants de la nostalgie, de la fureur du tout sécuritaire, de la désignation de toute sorte de boucs émissaires. Une course de vitesse est ainsi engagée entre une sortie humaniste des crises globales et une issue barbare de la guerre et de la violence contre soi-même.
Au-delà des trajectoires diverses par lesquelles on y arrive, dont témoigne la diversité des doctrines et des concepts, nous avons en situation d’urgence, à peaufiner le discours et l'imaginaire du futur écologique.
Comme dans la célèbre BD de l'an 01, on s'arrête et on réfléchit. On n'a pas le temps de réfléchir mais on doit le prendre quand même car si notre action est plus que modeste, notre responsabilité est pourtant immense. Face au système des dominations et des destructions massives, le repli sur soi et l’idéologie national-populiste semble être le récit protecteur qui rassure nos concitoyennes et concitoyens. C’est bien ce temps historique dans lequel nous sommes aujourd’hui et qui a motivé les membres de l’Instant d’Après à ce que nous soyons réunis aujourd’hui ensemble. Humblement, nous avons souhaité contribuer à poser des fondations solides au renouvèlement des pensées écologistes pour qu’elles soient désirées et désirables par le plus grand nombre.
Nous n’allons pas en 48 heures bouleverser l’état des connaissances, ni aller plus loin que bien des réunions savantes.
Notre propos est modeste ! Contribuer à un premier état des lieux ; baliser les controverses, les faire travailler tranquillement, tout en pointant les plages de ce qui va nous rassembler, pour aider la société à trouver en elle-même les ressources, les voies et le pouvoir d’agir .
Vous êtes ainsi invité.e.s à participer à ces rencontres non seulement pour l’intérêt que vous allez y trouver personnellement, mais en vous demandant comment, en fonction des situations que vous connaissez, vous pouvez faire rebondir le débat et participer de l'effort commun pour faire réseau.
Bonnes réflexions !

La restitution du contenu des tables rondes et ateliers se focalisent arbitrairement sur certains ateliers et certains propos que celui qui témoigne estime significatifs - ou, tout simplement, a eu l'opportunité d'entendre. A chaque fois, le témoin se s'interdit pas d'y ajouter des compléments et commentaires. On s'efforce de bien distinguer (en rouge) la restitution et ces réactions - contestables, bien sûr - à ce qui s'est dit, de sorte que vous avez tout le loisir de ne pas les lire. Et encore une fois, si vous avez assisté aux débats et souhaiter nous envoyer vos compte-rendus complémentaires, vous êtes les bienvenus.

   Table ronde d'ouverture
Quoi de neuf du côté des pensées de l'écologie ?
Intervenants: Lucile Schmid, Catherine Larrère, Dominique Bourg, Marie Toussaint, Patrice Maniglier, Fabrice Flipo (voir programme en pdf - lien en début de page - pour les titres de chacun)
"Face à la nécessité de changer, quelle portée attribuer au succès de concepts comme la décroissance, la post-croissance ? La revendication de rupture, de radicalité manifeste-t-elle le besoin d'un lien fort entre pensée et action ? Comment penser ensemble les différentes échelles, organiser une circulation ? Que nous disent les initiatives locales d'une perspective planétaire ? La diffusion 'indisciplinée' de l'écologie - échelles, secteurs - appellent-elle une perspective commune, voire des 'régulations' ? Comment penser le moment présent, tout en se situant dans une continuité ?" (extrait du programme détaillé fourni aux participants)

Ce qu'on a pu entendre

Parmi les présentations générales, Jean-Luc Delpeuch a insisté sur le parallèle possible entre le contexte de la fondation de l'Abbaye de Cluny et le nôtre: époque de guerres, d'instabilité, d'épidémies, d'inégalités, etc.

Claire Mallard: "Nous avons souhaité contribuer à poser des fondations solides au renouvellement des pensées écologistes pour qu’elles soient désirées et désirables par le plus grand nombre."

Dominique Bourg est revenu sur trois thèmes clés de la pensée écologique contemporaine:
1) La décroissance.
Une thématique qui serait apparue en France dans les années 70, avant de s'internationaliser. Il a insisté sur le fait que, pour tous les spécialistes de l'écologie, la "croissance verte" n'est qu'un "mythe" engendré, entre autres choses, par l'"économie de l'environnement". À l'échelle internationale, on peut dire, selon lui, que tous les spécialistes sont, plus ou moins, décroissants. On aurait donc là une idée-force, qui traverse la pensée écologique dans sa diversité. En témoigne le changement de discours de l'Agence Internationale de l'Énergie sur la question. Dominique Bourg parle de "changement du paysage intellectuel" et renvoie à l'ouvrage La prospérité sans croissance (2010).
Ajoutons un point: Lewis Mumford, historien américain des techniques, auteur de Technique et Civilisation en 1934, est une référence décisive dans la pensée française des années 50 aux années 70. On le retrouve des notes de lecture de Guy Debord jusqu'à des références élogieuses et précises dans la Convivialité d'Ivan Illich. Acteur majeur de la première critique de la société de consommation, dans l'entre-deux guerre états-unien, il plane sur toutes les critiques de la consommation et les défenses corrélatives de la décroissance, de la pensée 68, en France. Il fournit ainsi des concepts clés à cette pensée: celui de seuil de contreproductivité ou encore celui de mégamachine (un concept qui enveloppe à la fois le développement technique et la bureaucratie, lorsqu'ils dépassent leur seuil de contreproductivité). Ce rappel n'est pas du snobisme intellectuel: il montre qu'articuler critique de la consommation et décroissance n'est pas apparu en cours de route - cette pensée accompagne la société de consommation depuis ses tout débuts, aux Etats-Unis. Y compris la critique de la publicité - dès les années 10 aux USA -, ou encore le souci de la protection de l'environnement - pas seulement les nuisances des fumées de charbon en Angleterre, mais aussi la protection des forêts (Théodore Roosevelt nomme un secrétaire d'État aux eaux et forêts dans son Administration, au tout début du 20e siècle). La société de consommation est originairement contestée, et la pensée écologique s'inscrit très tôt dans la continuité de cette critique, y compris le concept de décroissance (dont on retrouve l'idée chez Commons ou dans certains articles de Keynes, dans les années 20, par exemple, même s'il semble l'oublier ensuite...).
2) L'effondrement.
Là encore, on a affaire à un thème commun, si on laisse de côté les versions caricaturales, comme celle d'Yves Cochet. On peut clairement parler, selon lui, et tout le monde, à le suivre, d'une "dynamique de délitement". Même si des "commerciaux populistes" parcourent le monde pour estimer les données scientifiques sans importance, et développer des discours à géométrie variable, qui ne se fondent que sur l'individu (typiquement: Macron comme référentiel ultime - ce qu'il dit est vrai parce qu'il le dit). Parallèlement, les pouvoirs qu'ils servent détruisent l'ONF, Météo France et tous les services qui pourraient corroborer la réalité de cette dynamique. De là une conclusion de Dominique Bourg: en France le principal facteur d'effondrement, c'est le gouvernement... De ce point de vue un Macron et un Trump relèvent d'un même populisme.
Si l'on suit ce diagnostic, il implique que le climatoscepticisme n'est pas seulement une propagande, c'est aussi un mode d'action, un programme. Comme si l'on avait voulu nier l'existence des micro-organismes en détruisant tous les microscopes. Un peu comme on nie la pauvreté en détruisant les agences qui servent à l'étudier et à en objectiver les conditions et les détériorations. La domination passe aussi par une appropriation des modes de production du savoir. De ce point de vue, la pensée écologique relève de ce qu'on appelle aujourd'hui les savoirs critiques.
C'est aussi bien dire, deuxième point, que l'effondrement ne serait pas forcément une dynamique autonome, qui vit sa propre vie, une fois enclenchée: le délitement dont parle Dominique Bourg n'a pas seulement des déclencheurs, elle a des agents effectifs. Les réactions en chaîne et les effets démultiplicateur mis en évidence par les sciences ne peuvent être ignorées. Ils ne doivent pourtant pas masquer cette dimension plus ordinaire mais tout aussi redoutable des dynamiques de délitement.
3) La sobriété impliquée par un changement de relation à la nature.
Dominique rappelle le rôle de notre meilleure compréhension, grâce aux travaux de Clastres, Descola, et d'autres, de la variabilité des relations humaines à la nature. Elle a contribué à objectivité et mettre à distance celle qui caractérise la civilisation industrielle. Cela a contribué à la destabilisation mentale provoquée par ce à quoi nous ont conduit nos anciens repères. C'est dans ce contexte qu'il faudrait penser le besoin structurel de sobriété - bien loin des discours du gouvernement.
Ce n'est bien sûr pas sans rapport avec un point sur lequel Dominique Bourg a insisté durant la discussion qui a suivi les exposés: on ne change pas une société sans changer son agriculture. La question posée, par un paysan, portait sur la disparition progressive de la classe paysanne, et la question cruciale pour lui de l'arbitrage entre la recréation de cette classe, et une diffusion plus grande des capacités d'auto-subsistance dans la population. Une question qui avait le grand mérite, à mon avis, de remettre au centre du problème de la sobriété la question du meilleur mode de vie possible dans les conditions qui sont les nôtres.

Marie Toussaint a insisté sur le besoin, pour le politique, de "muscler son discours", du côté des écologistes. C'est un travail que le RN aurait su faire, avec les résultats que l'on sait. L'affaire serait cependant plus complexe pour la pensée et l'action écologiques, prises dans des tensions internes qui font sa richesse et, pour le moment, sa faiblesse dans la société. Tension entre "réensauvagement" et promotion d'élevages respectueux, par exemple. Besoin de loger dignement et lutte contre l'artificialisation des sols. Autre difficulté, celle d'une pensée en développement qui conduit nombre d'aspects à exister de manière plurielle, et parfois confuse, avant même de trouver un nom (ex. écoféminisme ou justice environnementale). Dernier exemple, les désaccords autour de l'exigence et du sens d'une rupture avec l'anthropocentrisme. Faut-il lier ces trois dogmes: croissance, souveraineté solitaire et anthropocentrisme ?
La 2e partie du propos a insisté sur les actions auxquelles elle a contribué: la judiciarisation des problématiques écologiques, qu'incarne exemplairement la traduction en justice de l'État pour inaction climatique, grâce à la pétition L'affaire du siècle. En vu de créer une "jurisprudence de la Terre", qui s'articule aux traités internationaux. La justice, ici, ce n'est seulement une valeur, mais aussi, plus pragmatiquement, un outil judiciaire mobilisable.
Elle a conclu sur l'importance de cesser de stigmatiser les plus pauvres, en opposant fin du monde et fin du mois, ou en parlant de "seuil d'acceptabilité sociale".
Ce qui rejoint, à mon avis, l'appel à une écologie désirable (Claire Mallard) ou encore l'idée d'une prospérité sans croissance (évoquée par Dominique Bourg). Dans la discussion, Marie Toussaint le confirme: elle se méfie (et à mon avis cela fait le grand intérêt de son propos et de sa position) de trois attitudes: angéliser, diaboliser, exotiser les représentations et les choix. Trois manières de ne pas regarder en face la complexité. Exemple qu'elle donne: on peut conspuer l'esclavage nécessité pour faire des pyramide, ou le servage pour construire des cathédrales, mais on ne "musclera" pas efficacement le propos écologique, pour reprendre une expression qu'elle utilise, si on nie que d'une manière ou d'une autre, il faudra trouver les formes de grandeur nouvelles qui nous sont possibles. Même si je me méfie du mot "grandeur", c'est là une grande question (sans aucun second degré...) !

Pour Fabrice Flipo, entre autres choses, le développement des pensées écologiques aujourd'hui ne relève pas d'un effet de mode, comme dans les années 70 ou 90.
Je ne vais pas plus loin, tant cela me semble problématique. Au mieux, il y a là une ignorance: celle de l'effet du développement des technologies numériques qui ont provoqué un surcroit de mise à distance des dommages environnementaux, au cours des années 80 (qui ont connu aussi bien un refoulement des pensées 68 - y compris sur le plan écologique - qu'exemplifie parfaitement un Luc Ferry). Et que dire de l'ignorance complète de l'écrasement, par les forces de l'ordre, des mouvements altermondialistes - porteurs importants de l'écologie - au tournant des 20e et 21e siècles ? Il n'y a là aucun effet de mode, qui aurait précédé une conscience écologique sérieuse et très récente, mais une lutte de longue haleine, et ne pas le voir masque les effets de domination culturelle et policière exercés à l'encontre de la pensée et de l'action écologiques - en décliner les exemples ferait exploser le stock de mémoire disponible pour ce site...

Catherine Larrère est partie d'une typologie des manières de secondariser la question écologique. Deux manières d'en minimiser la nouveauté: 1) la "sectorialisation": en plus de l'économique et du social, il faudrait ajouter maintenant un troisième secteur d'action, l'environnemental - au contraire, malgré ses défauts, la notion d'anthropocène a au moins le mérite de pointer la globalité de l'enjeu écologique; 2) l'assimiler à des grands problèmes déjà rencontrées - typiquement la question sociale du 19e siècle. Les comparaisons entre ces deux questions sont le plus souvent trompeuses. Exemple type de différence, pourtant: la question sociale a massivement conduit a une demande d'État, là où la question écologique va souvent de pair avec une demande de démocratie. Une différence à prendre en compte. Autre point majeur: la question écologique a conduit à des bouleversements conceptuels plus profonds, en marquant la fin d'une opposition tranchée entre nature et culture. Mais à partir de là, conclut-elle, tout reste à (re)penser, et l'on ne peut tirer que peu de ressource du passé pour y parvenir. "On ne résout pas des problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés".
Quelques réserves pour creuser, ou questions que j'aurai voulu poser. La distinction tranchée Nature/Culture a-t-elle attendu la crise écologique pour être remise en cause ? Voire - si je provoque un peu - n'a-t-elle jamais existé ailleurs que dans l'esprit de quelques intellectuels occidentaux des 19e et 20e siècles ? Pour en rester au plus évident. Le darwinisme a déjà conduit à reconfigurer en profondeur les rapports entre nature et culture, jusqu'à ne plus en faire une distinction, puisque ces concepts ne jouent pas sur le même plan - il se trouve que certains animaux ont dans leur nature la disposition à produire une culture. Toute l'anthropologie et la pensée pragmatique américaine en sont imprégnés depuis le tout début du 20e siècle, parlant en termes d'interactions (environnement/espèces ou individus, ou entre espèces, entre individus, etc.). La vraie question, peut-être, est de savoir comment, face à la crise écologique, on traite ce qui spécifice les humains: une dénaturation ? Une tare ? Une puissance nuisible ? Difficile de regarder en face la crise écologique sans céder à la haine de soi, et c'est tout le problème... Il faudrait creuser, mais ce n'est pas sans rapport avec la question qui me semble plus importante: pourquoi la crise écologique conduit, chez ceux qui l'assume pleinement, à une exigence de démocratie, plutôt qu'à une demande d'État ? Est-ce seulement parce que l'État a failli dans cette tâche ? Pas sûr.

   Atelier 6

Marché, capital, propriété, biens communs

Intervenants: Ludovic Martin, Guillaume Duval, Mireille Bruyère (voir programme en pdf - lien en début de page - pour les titres de chacun)

Ce qu'on a pu entendre
1e échange
Ludovic Martin commence par rappeler ce que seraient les trois grandes secteurs de l'économie aujoud'hui: le secteur de l'entreprise, les services publics et le champ de l'économie sociale et solidaire (ESS). Quel statut pour ce troisième secteur ? Est-ce la béquille ou le complément des deux autres, ou bien vient-il "détricoter" les deux premiers ?
Pour Mireille Bruyère, cette approche est trop schématique. Le mouvement associationniste est à l'origine du mouvement ouvrier: dès le début du 19e siècle, des ouvriers cherchent à s'associer "dans un objectif de démocratie au travail". Ensuite seulement, le mouvement se déporte sur des questions de répartition du produit pour devenir un salariat protégé par l'État. Lorsqu'on assiste à un renouveau du mouvement associatif, dans les années 70, il n'a le plus souvent pas pour visée de créer des collectifs de travail. Les premiers mouvements associatifs étaient anti-capitalistes. Le second vise massivement la protection des exclus. L'ESS, aujourd'hui, reste en tension entre une exigence de démocratie au travail et une demande de protection publique.
Pour Guillaume Duval, la manière dont la gauche aborde la question est "stupide": ce qui compte ce sont les interactions entre ces trois champs. "Il faut de tout pour que cela fonctionne". La division du travail accroit les biens disponibles, mais fragilise la société. Cela crée un besoin de "biens publics": sécurité, santé, éducation. Comme Keynes l'a formulé, l'activité capitaliste a besoin de ces biens pour fonctionner - ce que la plupart des discours publics des chefs d'entreprise semblent pourtant nier, à tort. Assurer ces biens publics conduit cependant à produire un appareil bureaucratique qui pose problème. De là le besoin de ce tiers secteur.
Manifestement, la manière dont Guillaume Duval décrit les choses passe sous silence (comme tous les discours organiciste) les tensions et les conflits, que, au contraire, Mireille Bruyère souligne - ce qu'elle développe dans le 2e échange.

2e échange
Ludovic Martin: Qu'est-ce que la crise écologique vient bousculer dans ces trois champs ?
Pour Mireille Bruyère, le capitalisme vise, par nature, l'accumulation: il ne peut pas être écologique. Et, d'autre part, le public ne garantit pas la résolution de la crise, d'autant que, depuis la révolution managériale et les théories du Public Choice, le service public, lui-même, devient productiviste. Si l'on veut rompre ce cycle, il faut défaire ces cohésions, et repartir de la question des modes de production.
Lors de la discussion, quelqu'un reviendra sur cette tension entre entreprise capitaliste et objectif de décroissance.
Quelques explications.
Ce qu'on appelle théorie du Public Choice est un champ de l'économie qui se développe depuis les années 60, notamment initié par l'économiste James Buchanan. Il s'agit de produire des instruments de décision et d'arbitrage des interventions publiques fondés sur des critères strictement économiques. On part d'un constat établi déjà par Milton Friedman: l'État intervient pour corriger les failles de marché et les dommages collatéraux de l'économie de marché. Mais cette intervention a un coût et engendre ses propres failles et ses propres dommages collatéraux. La décision d'intervention doit être capable de prendre en compte rationellement tous les bénéfices et tous les coûts. Ce qui conduit souvent à laisser faire les failles de marché de "peur" que les failles publiques soient plus importantes.
La révolution managériale tient à l'importation, dans l'administration publique, de ce qu'on perçoit comme étant les modes de gestion des ressources humaines et matérielles efficaces du monde de l'entreprise. Amorcé au cours des années 70, ce mouvement repose sur l'idée plus générale d'importation des meilleures pratiques, qu'elles viennent du monde de l'entreprise ou des pays étrangers, sans tenir compte des spécifités nationales ou de supposées spécifités de l'action collective publique, par rapport à l'action collective privée. Les limites souvent soulignées tiennent à une forme d'atomisme (= possibilité d'évaluer une pratique abstraction faite de son contexte de mise en oeuvre), qui présuppose l'absence de spécificités de l'action publique ou l'absence de pertinence de l'évaluation du contexte dans lequel une pratique est mise en oeuvre.
Ces deux approches expliquent l'usage le plus fréquent (et en réalité perverti) de l'injonction au pragmatisme dans les décisions publiques. Dans tous les cas, elles conduisent à prioriser les critères économiques dans les prises de décisions (y compris lorsqu'il y a conflit de normes au niveau juridique - voir les développements plus récents de Richard Posner). De là la tension de fond que Mireille Bruyère souligne entre ces deux évolutions et l'ambition écologique.
Guillaume Duval rappelle que les économies administrées ont été les plus polluantes de l'histoire. Les hauts niveaux de consommation, dans un pays comme le nôtre, tiennent à l'égalisation des conditions: la consommation des plus riches crée un besoin de consommation des plus pauvres qui connaissent celle des plus riches (il évoque Thorstein Veblen et la théorie de la consommation ostentatoire).
La théorie de la consommation ostentatoire visait à expliquer, par des motifs socio-psychologiques, les dépenses, apparemment improductives, qui se développent à grands pas aux États-Unis au moment de la naissance de la première société de consommation. Ces consommations sont en réalité productives en termes de statut social, donc de pouvoir. Veblen développait cette grille d'analyse, dans les années 1910, avec une visée critique relativement forte.

3e échange
Ludovic Martin: quelle est la place des citoyens ou des salariés dans le future pour produire un modèle soutenable ?
Mireille Bruyère préfère répondre aux derniers propos de Guillaume Duval, et rejette l'idée que la montée de la consommation des plus pauvres soit responsable de la crise écologique. Il faut s'interroger plutôt sur la destruction des conditions matérielles de l'autonomie des gens (qui a commencé avec les enclosures). Il y a certes depuis les années 60, une massification de la consommation. Mais corrélativement, on assiste à une hausse, dans les classes moyennes, de la part des dépenses contraintes et inutiles en valeur d'usage. Face à cela, moraliser la consommation n'est pas efficace. S'en tenir à la position défendue par Guillaume Duval peut conduire à un appel à contraindre la consommation des plus pauvres.
Là encore, quelques explications. Mireille Bruyère fait fond sur des analyses présentes, par exemple, chez Ivan Illich (qu'elle mentionne par ailleurs), mais qu'on retrouve dans nombre de critiques de la société de consommation depuis le début du 20e siècle. Son développement n'est nullement l'effet spontané des désirs de chacun ou des rivalités mimétiques. Il tient d'abord à la transformation des conditions matérielles de vie, qui conduit à réduire toujours davantage l'autonomie des individus en matière de besoins élémentaires - s'alimenter, se protéger, se déplacer. Et ce par la division du travail (qui spécilise les compétences au point de rendre inapte la plupart des gens aux tâches que requérerait un minimum d'autonomie) et la constitution d'une classe 'nourrissière' (qui produit les aliments du reste de la société). Le rallongement des distances est un autre lieu de création de besoin, dont l'explication ne repose pas sur des mécanismes psychologiques. Tout cela conduit à l'accroissement des "dépenses contraintes" dont elle parle.
Pour Guillaume Duval, le problème principal tient au court-termisme politique des démocraties, lié aux enjeux électoraux. Si, au contraire, on parvient à imposer un cadre stable, prévisible, les entreprises s'adapteront. Mais c'est difficile dans un contexte démocratique. Le risque est que, si on n'y parvient pas, certains soient conduits à l'idée qu'on a besoin de dictature. On l'a déjà connu concernant la question sociale (dictature du prolétariat).

Lors de la discussion, quelqu'un rappelle la position de Bruno Latour: parvenir à imposer l'idée qu'au-dessus des intérêts de nations ou de classes, il y a des intérêts communs planétaires. Faute d'y parvenir, on risque le pire: le tribalisme, les replis identitaires, etc.
Réponse de Mireille Bruyère: le problème de l'idée de biens communs planétaires tient aux institutions qui seraient supposées devoir les gérer et les garantir. Si, par ailleurs, la question du local a, jusqu'ici, été préemptée par l'extrême-droite, ce n'est pas une fatalité. Dans les années 70, le local était plus une thématique bien à gauche. Ailleurs, dans la discussion, elle revient sur cet enjeu de la taille, des seuils, et évoque Ivan Illich.
Je me permets de rapporter ma propre intervention. Dans les propos de Guillaume Duval, on reconnaît nombre de motifs connus dans les pensées économiques et juridiques du 20e siècle: une description de l'émergence des biens communs que l'on trouve chez Walter Lippmann, une insistance sur l'institution d'un cadre de prévisibilité soustrait aux atermoiements démocratiques (théorie de la démocratie limitée pour être durable - Walter Eucken, Friedrich Hayek, Milton Friedman, Walter Lippmann, à nouveau), le caractère déficient du jeu démocratique et de son court-termisme (c'est la théorie de la démocratie comme marché structurellement déficient, chez James Buchanan). Et on peut ajouter deux points de l'intervention appuyé sur Bruno Latour: 1) l'appel à l'institution internationale de biens communs (dans un sens qu'on retrouverait aisément chez Hayek, à nouveau); 2) la menace des replis identitaires comme réflexe spontané face aux difficultés (cela renvoie à la théorie lippmannienne des stéréotypes - on rappellera que Lippmann invente ce concept et que Bruno Latour était traducteur et grand admirateur de Lippmann). Or, tous ces noms relèvent de la tradition néolibérale, telle que la recherche académique s'efforce de la reconstituer ces vingt dernières années. D'où une question: comment se fait-il qu'une bonne part des réflexions écologiques ne parviennent jamais à s'abstraire du mode néolibéral de gouvernement ?
Guillaume Duval: "oui, néolibéralisme, gnagnagna". Texto... Les enfants, y a du boulot...


   Atelier 12

Invitation à la sobriété

Intervenants: Stephen Kerckhoves, Bruno Villalba, Sylvie Landriève, Valérie Guillard (voir programme en pdf - lien en début de page - pour les titres de chacun)

Ce qu'on a pu entendre
Stephen Kerckhove commence par quelques éléments, pèle-mêle.
Nous serions en situation un peu schizophrène: les "destructivistes" nous parle de fin de l'abondance, de sobriété, mais le font en intériorisant l'idée que cela relèverait d'une démarche individuelle.
"On arrête tout, on réfléchit, et c'est pas triste". Ce fameux slogan tiré de la BD de Gébé, L'an 01, parue en feuilleton entre 1971 et 1974, et repris, entre autre, par François Ruffin pour en faire la maxime d'un blog.
Les 8 scénarios d'évolution de la consommation électrique proposés par RTE: aucun n'implique une baisse de consommation.

Bruno Villalba distingue deux référentiels pour développer la question de la sobriété.
Un premier renvoie à une tradition de pensée: celle de la juste mesure dans l'usage d'un produit - en présupposant qu'il peut être à disposition sans limite. C'est une problématique du mésusage et de la dépendance, que l'on trouvait déjà chez les Épicuriens, les Stoïciens ou les Cyniques, pensant de différentes manières la modération des usages. On retrouverait quelque chose de similaire dans les monothéisme, mais, non plus dans une réflexion sur la vie bonne, plutôt en réponse à une ou des injonctions. Cela renverrait à la fois à l'idée d'une frugalité sans renoncement et à un idéal de jouissance modérée.
Une autre perspective serait celle de l'écologie politique, à partir des années 70, lorsqu'on constate un décrochage entre l'extension du pouvoir technique et les ressources disponibles. On voit clairement que, de ce point de vue, la sobriété ne peut être ramenée à une démarche individuelle. Au regard des questions classiques de justice distribution (question de la répartition des richesses disponibles), cette situation pose des questions spécifiques, liées à la temporalité de l'urgence et à la globalité de la question (elle touche tous les intérêts): elle se formule comme une politique de renoncement et de répartition, non des richesses, mais des efforts.

Sylvie Landriève a tourné sa contribution vers les propositions - contrebalancer la perspective de l'effondrement. Sa méthodologie part d'un critère pour parler de "sobriété heureuse": une sobriété choisie collectivement. Ce qui suppose de se doter d'enquête pour identifier ce que les individus sont susceptibles de choisir collectivement (vieillir en bonne santé, ralentir, plus de proximité, conserver son cadre - hormi pour les habitants des mégalopoles). A partir de là, il serait possible d'articuler une politique des transports écologiquement vertueuse et socialement consentie.

Valérie Gaillard part du marketing, et d'un travail sur les pratiques des consommateurs (approche psychologique) pour comprendre quelles sont les freins à la perspective d'une sobriété. A commencer par la difficulté, en général, de passer d'un mode de vie à un autre. Dans le même temps, il est possible de dégager les ressorts susceptible de motiver pour une sobriété qui tournerait autour du "faire", en lieu et place du "laisser faire" et du "faire faire", qui peut rencontrer le manque de sens que ressentent beaucoup de gens (notamment les jeunes) dans leur travail.

   Atelier 13

Travail, activité, revenu

Intervenants: Jacques Archimbaud, Antonella Corsani, Yann Moulier-Boutang, Guillaume Allègre (voir programme en pdf - lien en début de page - pour les titres de chacun)


   Atelier 14

L'écologie est-elle sans frontière ?

Intervenants: Jean-Luc Delpeuch, Chloé Ridel, Françoise Diehlmann (voir programme en pdf - lien en début de page - pour les titres de chacun)


   Table ronde finale

Désertion, rébellion, alternatives, désobéissances, institutions

Intervenants: Géraud Guibert, Lola, Stacy Algrain, David Cormand, Priscillia Ludosky, Magali Payen (voir programme en pdf - lien en début de page - pour les titres de chacun)



   Reporterre
   "Le Jardin Secret" (librairie, Cluny)


 

Johanne Rod
Ambre Boinquet
Arnaud Milanese
Éléna Berruet
Richard Béninger
Mâcon Cluny en lutte