Contribution du Groupe d’Action LFI du Clunisois au débat sur l’affaire Quatennens

Depuis le 18 septembre, une drôle de musique circule dans nos cercles militants, une musique que nous attendions plutôt de nos adversaires politiques : “laissez la justice faire son travail !”, “ce sont des histoires d’amour intimes, complexes et nous ne devons pas nous en mêler”, “il doit bénéficier de la présomption d’innocence”. Des déclarations mêlant réflexe d’affection et juridisme1 prudent. En tant que militant.e.s de la France Insoumise, engagé.e.s dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS), nous ne sommes ni les amis d’Adrien Quatennens, ni ses juges. Certes nous n’en sommes pas aux scandales de La République En Marche à propos de Gérald Darmanin ou Damien Abad, par exemple. Mais nous attendons davantage d’un mouvement comme le nôtre et souhaitons proposer notre réflexion à ce débat. Notre réaction publique à cette affaire doit être politique et militante : elle doit être en phase avec les enjeux sociaux (ici, les violences faites aux femmes) et les valeurs (féministes) que nous portons. Elle doit respecter la nature de notre mouvement : un mouvement populaire, “ouvert” et “évolutif”, et non un parti d’avant-garde dépendant de ses leaders.

Notre travail de militant.e.s

Qui peut nier, en effet, que les violences faites aux femmes est aujourd’hui un problème social de premier plan ! En France, 213.000 femmes subissent chaque année des violences sexuelles et sexistes2. Parmi leurs agresseurs - souvent des proches, quasiment tous des hommes - seule une infime minorité font l’objet d’une procédure judiciaire et encore plus rares sont les condamnations. A titre d’exemple, concernant les viols : 10% seulement des victimes portent plainte, et seulement 1% de ces plaintes aboutissent à une condamnation. Donc, 0.1% des viols sont condamnés en France. Pourtant, les études de criminologie et les enquêtes de victimation montrent que les fausses accusations ne représentent que 2 à 10% des plaintes3 (rappelons en outre que, dans cette affaire, Adrien Quatennens a reconnu une partie des accusations pesant contre lui). Si on ne peut pas assimiler toutes les VSS à des viols, ces données n’en illustrent pas moins déséquilibre immense entre la réalité des VSS et leur traitement judiciaire. En tant que militant.e.s, on ne peut pas partir du principe qu’une femme ment quand elle accuse son conjoint de violence, car nous manquerions ainsi de soutenir ces 99.9% de femmes victimes qui n’auront jamais justice ! On ne peut pas non plus en tirer des conséquences tièdes sur le rôle qu’un homme, ainsi accusé, est supposé devoir jouer dans un mouvement qui assume des valeurs féministes ! Un mouvement féministe a pour rôle de soutenir toutes ces femmes pour que cesse l’impunité de la violence des hommes sur les femmes. Cela implique de refuser qu’une personne accusée de violence par sa conjointe représente le dit-mouvement.
Il en va donc de notre lucidité et de notre sincérité. C’est aussi simple que cela. Les valeurs que nous partageons sont l’un des ciments les plus solides et les plus honorables de notre mouvement, et ces thèmes féministes en font pleinement partie. Les exigences des militant.e.s aujourd'hui - et notamment celles des jeunes générations - sont immenses. Ne pas l'entendre serait une erreur.

Le travail de la justice, la place de l’humain

Il ne s’agit pas d’incriminer ici le travail de la justice, mais de souligner la difficulté du traitement judiciaire des VSS et leur importance pour notre société. Une réaction politique ne doit bien sûr pas remplacer la justice ni oblitérer l’humain et l’amitié. La justice doit faire son travail. L’avenir en commun ne prône pas la création d’un tribunal se substituant à la justice ordinaire, qui condamnerait une personne sur une seule accusation.
Aussi, et jusqu’à preuve du contraire, les ami.e.s d’Adrien Quatennens n’ont aucune interdiction de le voir, de lui parler, d’entretenir des liens avec lui. Même pour une personne coupable de faits de violences, quelle qu’en soit la gravité, notre programme prône de “discuter avec elle, l’écouter et d’éviter qu’elle se trouve isolée et désocialisée”. C’est sûrement là la place des ami.e.s d’Adrien Quatennens, qu’il soit réellement coupable ou non.

L’indispensable démocratie d’un mouvement féministe

Nous voulons simplement que le respect de la justice et des amitiés privées n’efface pas les conséquences politiques de cette affaire. Et sur ce point, l’affaire Quatennens pose une question cruciale. Pourquoi tant de volonté, chez certains de nos camarades, de voir revenir une personne accusée de violence sur son ex-compagne ? Parce qu’il serait “un bon homme politique”, répondent ses soutiens. N’y a-t-il personne d’autre de “bon” à la FI ? Sans doute que si ! Cette affaire révèle donc un problème d’organisation dans notre mouvement qui - malgré nombre de figures militantes émergentes - a déjà du mal à accepter un turn over de ses figures de proue. Une structure qui peine à puiser dans cette force immense que constituent 300.000 militant.e.s et 7.700.000 voix à l’élection présidentielle. Les arguments sur les qualités d’Adrien Quatennens qui justifieraient son maintien démontrent bien souvent une personnification et une idolâtrie inquiétantes pour notre mouvement.
Décider collectivement de changer de leader est un choix stratégique et politique d’un mouvement populaire, qui ne devrait pas provoquer tant de remous. Nous estimons simplement, avec d’autres, qu’il ne peut plus être l’un de nos leaders politiques.

On passe le relais… et la lutte continue

La France Insoumise est un programme politique, une vision du monde, une histoire militante et collective. Et dans un tel mouvement, la bonne conduite d’un leader politique, vraiment attaché aux valeurs féministes et démocratiques qu’il a défendu dans son programme, serait de se retirer du premier plan, de démissionner de son mandat, de laisser ses camarades - nombreux et compétents - assumer le front médiatique et le combat parlementaire.

Groupe d'action LFI du Clunisois

1 Juridisme : Attitude de quelqu’un qui s'en tient à la lettre des lois
2 Chiffres tirés de l’enquête “Cadre de vie et sécurité” 2019 du Ministère de l’Intérieur : bit.ly/3W3HyHq
3 “False Allegations of Sexual Assualt: An Analysis of TenYears of Reported Cases” : bit.ly/2P5DJPQ


ANNEXE Le violentomètre

Créé en Amérique latine, le violentomètre a été repris et adapté en 2018 dans sa forme présenté ici par l’Observatoire des violences envers les femmes du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, en partenariat avec l’Observatoire parisien de lutte contre les violences faites aux femmes et l’association En Avant Toute(s).

Pour plus d'informations sur le violentomètre et le télécharger dans différents formats : https://seinesaintdenis.fr/violentometre et https://seinesaintdenis.fr/Le-violent-o-metre-accessible-a-toutes

   12 décembre 2022